Le plus célèbre des photographes suisses, décédé en 2014, laisse derrière lui une collection de plus de 30 000 images. À travers elles, il s’est fait le témoin de son siècle, sculptant les événements et les êtres à l’aide d’un pinceau de lumière.
Regards sur le XXe siècle
Son objectif captait un monde d’un réalisme brut. Composées en noir et blanc, vivantes autant que peuvent l’être des instants immobiles, ses photographies ne se contentaient pas d’enregistrer un moment présent : elles racontaient une histoire. Elles embarquaient l’observateur dans un long récit, celui du XXe siècle.
Le Suisse René Burri a été le photographe-témoin par excellence, un artiste au sens propre qui composait moins ses clichés qu’il ne les laissait naître à la lumière. Il a voyagé dans le monde entier et a couvert de nombreux conflits – Corée, Vietnam, guerre des Six-Jours – mais avec la particularité de ne jamais montrer de cadavres.
Telle était sa limite : le corps figé dans la mort. Il aimait les modèles vivants, il savourait leur excentricité, donc leur humanité. Burri photographiait beaucoup les artistes, sans doute parce qu’ils étaient, de tous, les plus sensibles.
De Che Guevara, dont il fit un portrait resté célèbre, il disait qu’il était « un homme arrogant, mais doté d’un certain charme… Il était comme un lion en cage ». Mais la cage, n’était-ce pas le cadre de l’objectif ? Et son modèle la bête assoiffée de liberté ?
Premiers pas dans la photographie
Malgré ses voyages incessants et ses 160 pays traversés, René Burri est né et mort dans la même ville, Zurich. Il voit le monde en 1933. Mais c’est en 1946 qu’il regarde ce monde pour la première fois, lorsqu’il prend son cliché liminaire : Winston Churchill en visite à Zurich, debout à l’arrière d’une voiture décapotable. Il a 13 ans.
Après être sorti de l’École des Arts appliqués de Zurich, il ouvre en 1953 un atelier avec Walter Binder. Puis travaille comme assistant-caméraman pour la Walt Disney Film Production en Suisse, en 1954-1955.
Burri choisit de s’orienter vers la photographie mais reste marqué par ses envies de film documentaire. Privilégiant le long terme, à l’opposé de « l’instant décisif » d’Henri Cartier-Bresson, il tâche de dérouler un récit par les images et de donner du sens au monde qu’il photographie
La célébrité
Sa publication sur la rétrospective Picasso organisée à Milan, en 1953, le fait accéder à la célébrité. Les décennies le voient parcourir les nations et les événements : guerres, bouleversements économiques, politiques et culturels en Europe et en Chine, crise de Cuba… Burri niche son œil dans les interstices de l’Histoire.
Membre de l’agence Magnum depuis 1959 (sur le site de laquelle on peut voir quelques-uns de ses clichés), René Burri a également travaillé pour les magazines Life, aux USA, ou Paris Match, en France.
Ses portraits des grandes figures du XXe siècle ont fait le tour du monde : les artistes Pablo Picasso, Yves Klein et Alberto Giacometti ; l’architecte Le Corbusier ; l’actrice Ingrid Bergman ; et Ernesto Guevara, bien sûr, tout en barbe et en cigare, déjà tellement iconique en 1963.
En 2004, la Maison européenne de la photographie, à Paris, lui consacre une rétrospective allant de 1950 à 2000. La même année, Burri présente cette exposition au musée de l’Élysée de Lausanne, où il crée sa fondation en 2013. Depuis sa mort en 2014, la collection entière de ses clichés – plus de 30 000 – y a été transférée.
René Burri au cœur des choses
Le photographe suisse disait : « Lorsqu’on parvient vraiment à capter la vibration du vivant, alors on peut parler d’une bonne photographie ». Cette « vibration du vivant », l’homme s’est appliquée à l’enregistrer pour mieux la transmettre à son public, et partager quelque chose du monde qu’il voyait.
Paradoxalement, c’est peut-être dans ses clichés d’ensemble que l’on capte le mieux cette vérité du vivant. Quand il photographie le Guernica de Picasso, à Milan, Burri se place derrière les spectateurs qui observent et commentent le tableau ; l’œuvre est ainsi mise en relief du fait que l’appareil de Burri ne fait que témoigner de ce regard.
Idem sur cette photo de Sao Paulo, prise en 1960 depuis les hauteurs d’un building. D’un côté, on voit la rue en contrebas qui fourmille de voitures. De l’autre, sur le toit d’un immeuble, quatre personnages mystérieux, en costume trois-pièces, inquiétants, qui semblent nous regarder à leur tour.
Au-delà de la qualité technique de ses clichés, le génie de Burri résidait surtout dans son approche du sujet. Il photographiait donc les lieux et les événements comme il le faisait des êtres humains : avec la volonté de rendre vivant l’inanimé. Pour ne jamais avoir à capter de choses mortes.