Même si vous n’êtes pas grand amateur de peinture, vous connaissez Le Cri d’Edvard Munch. Vous l’avez croisé au cinéma, à la télévision ou dans la bande-dessinée. Vous n’avez pas pu échapper à des reproductions du tableau dans les magazines ou chez des amis. Vous avez certainement été intrigué par ce hurlement silencieux poussé au milieu des couleurs.
Le cri tique
Il a beaucoup inspiré les autres. Le masque effrayant, au sourire coulant, du tueur de la trilogie Scream au cinéma ? C’est du Munch. L’expression de surprise exagérée prise par les personnages des mangas animés japonais – Ranma ½ notamment ? Encore piqué à Munch.
C’est sans doute le tableau le plus parodié au monde, après La Joconde. Le personnage central de Munch a été remplacé, au fil du temps, par à peu près tout le monde : Homer Simpson, le Joker, un lapin crétin, Nicolas Sarkozy, Mickey Mouse, Macaulay Culkin (Maman, j’ai raté l’avion), etc.
Il existe même une version avec Cristiano Ronaldo. Sans doute crie-t-il parce qu’il a raté une occasion de marquer un but. Ou parce qu’il a appris que Munch n’était pas une marque de gâteaux apéritifs mais un peintre norvégien.
Une œuvre phare à cheval entre deux siècles
Pionner de l’art expressionniste, le Norvégien Edvard Munch ne se doute pas qu’en peignant son Cri, il est en train de réaliser l’une des œuvres majeures du tournant du XXe siècle.
Munch produit cinq version du tableau, entre 1893 et 1917 : trois peintures (huile et tempera), un pastel et une lithographie. Sur les quatre versions peintes, deux sont exposées au musée Munch d’Oslo, une à la Galerie nationale de la même ville.
La quatrième, le pastel, datant de 1895, a été adjugé aux enchères par Sotheby’s en 2012 pour une somme record – 120 millions de dollars. L’acheteur est resté anonyme : méfiez-vous, il s’agit peut-être d’un voisin à vous !
Vol(s) aller-retour
Cette œuvre majeure (et chère) a souvent été volée, mais jamais pour très longtemps. La version de la Galerie nationale a été « empruntée » en 1994 puis « récupérée » deux ans plus tard.
Celle du musée Munch a été dérobée, avec la Madone, en 2004, lors d’une attaque à main armée. Présumés brûlés, les deux tableaux ont été retrouvés par les autorités en 2006.
Après cette série de vols, les musées norvégiens ont indiqué qu’ils refuseraient désormais de laisser sortir Le Cri du pays. Ce fut donc un tour de force lorsque la Fondation Louis-Vuitton, à Paris, parvint à en emprunter une version pour son exposition « Les Clefs d’une passion », entre avril et juillet 2015.
Pas la peine de crier !
Le Cri a beau faire partie de l’art figuratif, il titille la frontière de la métaphysique picturale avec ses couleurs criardes, son monde tout en courbures et son atmosphère inquiétante. Le personnage au centre de la toile symbolise l’homme moderne submergé par une crise d’angoisse existentielle.
Munch a accompagné son œuvre d’une notice dans son journal : « Je me promenais sur un sentier avec deux amis – le soleil se couchait – tout d’un coup le ciel devint rouge sang, je m’arrêtai (…) je sentais un cri infini qui passait à travers l’univers et qui déchirait la nature » (1922).
Regardant la toile, le spectateur est comme forcé de s’intégrer à la peinture, de participer à ce cri douloureux. Munch traduit l’impact du hurlement à l’aide des courbes du fjord en arrière-plan, en mélangeant les couleurs du ciel et de la terre, en détachant l’observateur de sa réalité.
La question reste entière : est-ce le personnage qui est en train de crier ? Ou se protège-t-il les oreilles d’une clameur extérieure ?
Hommage au cri
La réponse se trouve peut-être dans les occurrences modernes du tableau. Dans le film Les Looney Tunes passent à l’action (Joe Dante, 2003), les héros poursuivis par Elmer pénètrent dans le tableau et bousculent le personnage de Munch… qui se met à crier. Puis Elmer, à son tour, imite sa plainte.
Il y a quelques années, un réalisateur roumain, Sebastian Cosor, a créé un court-métrage d’animation appelé The Scream (vous pouvez voir le film ici). Deux personnages y dissertent sur la mort et sur la peur que celle-ci inspire, tandis qu’ils se promènent près d’un fjord.
Alors qu’ils traversent un pont, apparaît la fameuse figure du Cri de Munch : et celui-ci de se mettre à chanter… « The Great Gig in the Sky » des Pink Floyd.
Voilà ce qu’Edvard Munch, en peignant Le Cri, quelque part vers la fin du XIXe siècle, ignorait sans doute : que son personnage en crise existentielle crierait un jour des paroles d’une chanson des Pink Floyd. La notoriété a ses bons côtés.