Dans les années 50 et 60, une « collection d’écrivains » selon l’expression de Jean Ricardou, s’est réunie autour de l’ambition de dynamiter le récit littéraire classique. Ensemble, ils ont inventé le Nouveau roman. Et leurs lecteurs n’en sont toujours pas revenus.
Origines d’un tropisme littéraire
Le « Nouveau roman » désigne un ensemble d’écrivains ayant œuvré, dans les années 50 et 60, à remettre en cause les fondations du roman traditionnel. Ne formant ni une école, ni un véritable mouvement, ils ont pour particularité d’avoir été édités par les Éditions de Minuit, dirigées à l’époque par Jérôme Lindon.
L’appellation date d’un article du Monde daté du 22 mai 1957. Pour rendre compte de deux romans – La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet et Tropismes de Nathalie Sarraute – le chroniqueur Émile Henriot forge cette expression entrée dans l’histoire littéraire.
Nouveau roman, nouveau réalisme
Cette collection d’écrivains renverse la tradition romanesque balzacienne en se réclamant d’un « nouveau réalisme ». C’en est fini du héros conventionnel, de la psychologie cohérente des personnages, du déroulement linéaire du temps et de la vraisemblance du récit.
Déployant une intrigue complexe, parfois dénuée de sens, ces romans demandent aussi une participation active du lecteur. Celui-ci est appelé à se plonger dans la vie intérieure des individus, ceux-ci devenant le centre de la narration.
Définissant le Nouveau roman, Jean Ricardou a écrit cette phrase célèbre : « Ainsi le roman est-il pour nous moins l’écriture d’une aventure que l’aventure d’une écriture ».
Le bon emploi du temps
Ces textes déroutants aux titres fascinants – Dans le labyrinthe, Les Gommes, Moderato Cantabile, La Modification ou L’Emploi du temps – sont riches en influences littéraires.
D’un côté, les étrangers, Virginia Woolf et Franz Kafka au premier chef. À l’instar des héros de l’écrivain pragois, les protagonistes du Nouveau roman peuvent se réduire à une initiale. De l’autre, les Français : Stendhal, Flaubert, Camus ou Sartre – celui de La Nausée mais pas de l’existentialisme.
Ses représentants s’appellent Michel Butor, Marguerite Duras, Claude Ollier, Robert Pinget, Jean Ricardou, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Claude Simon – auxquels l’on peut adjoindre Samuel Beckett.
Leurs tentatives ont été théorisées par eux-mêmes : Pour un nouveau roman de Robbe-Grillet, Essais sur le roman de Butor, Problèmes du Nouveau roman et Pour une théorie du Nouveau roman de Ricardou ont défini les jalons de cette technique structurale et narrative résolument postmoderne.
Pour un Nouveau cinéma
Le cinéma a été, pour les auteurs du Nouveau roman, une influence essentielle. Marguerite Duras et Alain Robbe-Grillet sont passés derrière la caméra et ont fait du film un outil pour matérialiser leurs préceptes.
L’un des grands monuments de ce Nouveau roman appliqué au cinéma est définitivement L’Année dernière à Marienbad, film d’Alain Resnais sorti en 1959, adapté d’un scénario de Robbe-Grillet.
Situé dans un hôtel mystérieux et dans une temporalité vague, le récit oppose un homme et une femme qui n’ont ni noms, ni identités, et qui peut-être se sont rencontrés l’année passée au même endroit, ou peut-être pas. Du pur Nouveau roman, en somme, inqualifiable et impénétrable.
Les écrivains mettent la gomme
Pour qui a lu Les Gommes, le roman d’Alain Robbe-Grillet de 1953 qui fait partie des premières occurrences du Nouveau roman, le projet de déconstruction littéraire des auteurs de ce mouvement est à la fois plus clair… et plus obscur.
Plus clair, parce que l’enquête improbable du personnage principal, Wallas, passe par un anéantissement en règle des codes du roman policier. On passe successivement dans la tête de tous les personnages, enquêteur, victime et coupables, et l’on se noie dans leurs réflexions intimes.
Mais plus obscur, en même temps, du fait que la structure labyrinthique du roman et ses nombreuses et insolites digressions donnent au lecteur une sensation d’irréalité. En marge de son enquête, Wallas passe son temps à chercher une gomme – la gomme idéale, ni trop douce, ni trop dure.
Serait-ce la métaphore d’un Robbe-Grillet qui tente de « gommer » l’histoire littéraire qui l’a précédé ? Si c’est le cas, c’est un échec, parce que Wallas ne parvient pas à mettre la main sur sa gomme parfaite. Et que le lecteur se perd joyeusement dans une intrigue sans queue ni tête.
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