Candidate à l’organisation de l’Exposition universelle de 2025, la France a reçu la grand-messe mondiale à 6 reprises entre 1855 et 1937. La plus célèbre, néanmoins, reste l’Exposition de 1889, à l’occasion de laquelle fut présentée à un public ébloui la plus grande réalisation du temps : la Tour Eiffel et ses 324m de domination en poutres de fer.
Un produit d’appel pour l’imaginaire technologique
Les Expositions universelles ont quelque chose de mystérieux, peut-être quelque chose d’un peu vain. On se demande aujourd’hui à quoi servent ces gigantesques pavillons construits par les différents pays participants, exposés au regard de visiteurs éberlués et indécis. Le sens n’est pas évident au premier regard : il faut commencer par remonter dans le temps et en comprendre l’origine.
Au XIXe siècle, les Expositions universelles représentaient la vitrine technologique et industrielle d’un monde en pleine voie de modernisation. Les révolutions politiques avaient laissé place à la Révolution industrielle, le baron Haussmann redessinait les avenues parisiennes à coups de pelleteuses et les progrès techniques laissaient augurer d’un avenir qui ressemblerait aux romans de Jules Verne.
Jules Verne, justement, s’inspira de l’aquarium géant de l’Exposition française de 1867 pour imaginer le Nautilus de 20 000 lieues sous les mers. L’imaginaire de ces événements joue encore à plein : le dessin animé d’Otomo Steamboy prend pour arrière-plan l’Expo universelle de Londres en 1851, tandis que la Tour Eiffel domine toujours les regards.
La consécration parisienne de 1889
La 1ère Exposition eut donc lieu à Londres en 1851. Elle impressionna tant et si bien Napoléon III qu’il ordonna l’organisation d’un pareil événement à Paris en 1855. La capitale française en fut l’hôte encore 5 autres fois : en 1867, 1878, 1889, 1990 et 1937. Mais celle de 1889, la 10e Exposition universelle de l’Histoire, fut sans doute la plus belle et la plus innovante de toutes.
Quelques chiffres vous donneront une idée de son ampleur :
- 96 hectares
- 35 pays participants
- 61 722 exposants (dont 25 000 étrangers)
- 32 millions de visiteurs entre le 6 mai et le 31 octobre 1889
Si le thème de l’Exposition était le triomphe du fer, la France y vit surtout l’occasion de commémorer le centenaire de la Révolution. De fait, la plupart des monarchies refusèrent de concourir officiellement afin de ne pas rendre hommage à cette manie bien française de couper les têtes couronnées. Elles envoyèrent néanmoins des industriels à titre privé et des œuvres d’artistes pour ne pas faire mauvaise figure.
L’Exposition laisse émerger un aspect ludique qui gomme en partie le didactisme jusque là dominant. Les événements deviennent plus divertissants, préfigurant une société de loisir.
Les événements de l’Exposition universelle de 1889
Organisée par Jean-Charles Alphand, un ingénieur de la Ville de Paris et proche collaborateur du baron Haussmann, cette grand-messe apporta son lot de nouveautés industrielles et d’innovations techniques. L’utilisation de l’électricité permit, par exemple, de faire durer les festivités jusqu’à minuit quotidiennement.
Mais l’Exposition fut également l’occasion d’accueillir, au sein du Palais des Beaux-arts, les progrès artistiques – comme l’arrivée en France de l’Art nouveau.
Les constructions, installés sur le Champ de Mars, le Trocadéro, l’esplanade des Invalides et le quai d’Orsay, rendirent hommage à l’âge du fer et de l’acier dans lequel entrait alors l’architecture. Voici quelques-uns des bâtiments les plus étonnants que les visiteurs de l’époque pouvaient visiter :
- La Tour Eiffel, grande star de la manifestation. 324m de haut (le plus haut bâtiment du monde à l’époque), 2 ans de travaux, et 150 ouvriers travaillant à dresser les 18 000 pièces de ce Lego cyclopéen. 2 millions de personnes la visitèrent durant l’Exposition. Elle devait être détruite après l’Exposition, mais son créateur, Gustave Eiffel, parvint à la sauver.
- Le Palais des Beaux-arts et des Arts libéraux, œuvre de l’architecte Jean-Camille Formigé. Il en reste des vestiges visibles dans le square Paul Langevin, au cœur du Quartier latin.
- Le Palais des Industries, édifié par Joseph Bouvard, et son Grand Dôme central qui est le premier bâtiment à utiliser l’électricité à grande échelle.
- La Fontaine dessinée par Saint-Vidal au pied de la Tour Eiffel.
- Le Palais du Trocadéro, qui était construit pour durer, mais qui fut détruit et remplacé en 1937 par l’actuel Palais de Chaillot.
- La Galerie des machines : située au fond du Champ de Mars, devant l’École militaire, elle occupait toute la largeur du terrain. Dessinée par Ferdinand Dutert, elle battait tous les records : une nef d’une superficie de 77 000m2 avec 34 700m2 de vitrage. Les stands exposaient des machines industrielles – machines à raboter, fabrique d’horloge, etc. Elle abrita ensuite un vélodrome de 1903 à 1909, avant sa destruction en 1911.
Les détails insolites de l’Exposition
Mais une Exposition universelle regorge également de détails insolites ou qui nous semblent aujourd’hui d’un certain mauvais goût. Ainsi le « Village de nègres » dont l’objectif était, pour la France, de présenter au monde les habitudes de vie des indigènes dans ses colonies africaines.
C’est qu’en cette fin de siècle, les puissances européennes finissent de se répartir l’Afrique, l’Asie et l’Océanie. La représentation des colonies gagne en importance. Dans son « Village » factice, la France a donc installé 400 indigènes qui doivent sourire et parler aux touristes. Rappelons que cette Exposition fut l’occasion de fêter le centenaire de la Révolution, donc de la libération du peuple oppressé par la monarchie…
Voici d’autres détails insolites et amusants :
- Les premiers visiteurs de la Tour Eiffel ont été la famille royale d’Angleterre et Buffalo Bill.
- Pour faciliter la venue des provinciaux, le sésame d’entrée est couplé avec un billet de train, offrant 25% de réduction sur le trajet avec une franchise de bagage de 30kg.
- L’entrée générale de l’Exposition est fixée à 1 franc ; mais il faut s’acquitter d’un supplément pour visiter les attractions les plus spectaculaires (5 francs pour grimper sur la Tour Eiffel).
- Une reproduction de la prison de la Bastille a été fabriquée à l’occasion des 100 ans de sa chute. Tout le monde ou presque l’a oubliée, à cause de la domination métallique de la Tour Eiffel.
- Cette Exposition est la première à équilibrer ses comptes : elle engrange un bénéfice de 8 millions de francs.
- Pour permettre de voir l’Exposition depuis le ciel, deux ballons à hydrogène sont installés boulevard de Grenelle et avenue Kléber.
- Pour l’occasion, Paris s’embellit : Just Lisch restructure entièrement la gare Saint-Lazare et la gare de Lyon fait construire un hôtel Terminus.
Événement majestueux et grandiose, l’Exposition universelle de 1889 reste le symbole historique de la Révolution industrielle et de l’entrée de la France dans l’ère des progrès technologiques qui domineront le XXe siècle. La Tour Eiffel est encore le garant, imposant et inamovible, de son souvenir.