Les photographies de famille, entre souvenir et symbole

Contrairement à son apparence festive et nostalgique, la photographie de famille n’est pas un simple souvenir de fête ou de vacances : elle recouvre un aspect symbolique s’imposant, dès lors que l’on s’y intéresse un minimum, de façon absolument indiscutable. En effet, dès ses débuts – au cours du XXe siècle, la photographie de famille permettait à chaque groupe de se distinguer dans la hiérarchie sociale, de montrer sa puissance et sa légitimité au sein d’une communauté en particulier – le plus souvent religieuse.

Ainsi, tandis que certains clichés étalent au grand jour les vacances pour lesquelles une famille a travaillé et épargné durant des mois, d’autres attestent que tel ou tel rituel religieux a bel et bien été accompli : baptême, première communion, confirmation ou encore mariage, plus aucune cérémonie n’échappe aux mains des photographes amateurs les plus passionnés – tandis que, lorsque les familles ne connaissent aucun féru de la pratique, elles parviennent toujours à trouver un individu en mesure d’assurer l’intérim, fournissant ainsi les précieuses images d’un groupement parfaitement intégré à la société.

Photographie---Quand-l'amateur-devient-artiste

Quand le devoir devient un plaisir

Au fil du temps, à mesure que la photographie se développe et que les appareils deviennent de plus en plus légers, faciles à transporter et à utiliser, les individus s’en emparent avec davantage d’entrain et, en conséquence, beaucoup moins de difficultés. Ainsi, après avoir été le symbole pur et simple de l’intégration réussie d’une famille au sein de la société, la photographie est devenue un réel moyen de se divertir et même, contre toute attente, de montrer et développer ses capacités imaginatives.

Dès les années 1960, on commence à voir apparaître des individus qui, sans être acceptés comme de réels artistes, s’essaient à une pratique plus étonnante de la photographie. Sans se contenter d’être le simple témoin des mariages et rituels familiaux, ils commencent à affirmer un certain talent et une certaine personnalité dans leurs clichés, notamment en n’hésitant pas à photographier des objets insolites, des paysages dignes des plus belles cartes postales, ou encore des situations de la vie quotidienne, rendues artistiquement intéressantes grâce à un point de vue original, un angle épatant ou encore une façon totalement marginale de concevoir la situation.

Photographe

Des quidams s’identifient aux plus grands artistes

A l’image de Henri-Cartier Bresson, les amateurs se munissent des appareils disponibles dans les commerces et photographient, à souhait, des scènes de la vie de tous les jours pour leur donner des consonances généralement inattendues. Ainsi, le célèbre cliché « Derrière la gare Saint-Lazare », réalisé par l’artiste précédemment mentionné, devient le symbole et le modèle d’une nuée d’amateurs à la recherche de ce fameux instant T, ce moment auquel il faut appuyer sur le déclencheur pour obtenir le cliché le plus artistique possible.

Par ailleurs, si l’on fait encore appel aux professionnels pour réaliser, comme Walker Evans, des portraits poignants et bluffants, on photographie de plus en plus sa famille et ses amis en autonomie. Finalement, au fil du temps, chacun s’improvise artiste en s’identifiant à de grands noms du domaine ou, simplement, en réalisant de nombreux clichés à titre ludique, pour prendre du plaisir et immortaliser certains instants de la vie.

Aujourd’hui, avec les smartphones et appareils photo numériques, la photographie a littéralement pris son envol : bien loin des aspirations artistiques des grands rêveurs du XXe siècle, les jeunes s’amusent à photographier tout et rien : de leur repas du midi à leur dernière trouvaille dans un magasin de vêtements, plus aucun détail de leur vie n’échappe à l’œil acéré de l’objectif, donnant ainsi à la photographie une toute nouvelle résonance. En effet, si prendre une photo est devenu totalement anodin, le résultat n’en est pas moins probant : avec un filtre ou quelques retouches sommaires, tout devient une potentielle œuvre d’art, laissant ainsi les plus rêveurs aspirer à l’obtention du cliché susceptible d’épater tout son entourage.