Présentée en ce moment partout en France, Sun, la dernière pièce du chorégraphe israélien Hofesh Shechter, fait forte impression. Nourrie par des interprètes dynamiques et pensée par un artiste talentueux, Sun irradie.
Bousculer les codes académiques
Le public est averti avant le début du spectacle, le narrateur déclare que « tout va bien se passer ». Une introduction quelque peu originale qui met tout de suite dans l’ambiance, version Hofesh Shechter. Ce chorégraphe et compositeur israélien, du haut de ses 38 ans, est un artiste accompli. Autrefois élève de l’Académie de danse et de musique de Jérusalem, il commence sa carrière à la Batsheva Dance Company. Son parcours l’amène à la rencontre de chorégraphes talentueux et reconnus, qui ont su nourrir ses projets. Depuis 2008, il dirige sa propre compagnie éponyme, sur le sol britannique. Sun est sa dernière pièce, présentée dernièrement au Théâtre de la Ville, à Paris, puis dans toute la France.
La danse et les costumes de Sun ont des accents baroques, comme une référence au Roi Soleil. Mais la danse académique vole rapidement en éclat, pour devenir guerrière. Les farandoles versaillaises se transforment en luttes armées, tandis que les courbes délicates de la danse classiques se crispent. La musique y est pour quelque chose, Wagner se mêle sans transition à des airs irlandais, puis des percussions fendent l’air pour ne laisser place qu’au bruit assourdissant des basses. La danse est généreuse, les 15 interprètes ont une énergie folle à offrir aux spectateurs et il en faut pour suivre l’intensité de la musique ! On est, en effet, impressionné par les corps très athlétiques et visiblement infatigables des danseurs. Hofesh Shechter dit s’inspirer librement des danses folkloriques où hommes et femmes se confondent.
Pas de place au décor, la musique et la danse sont bien trop intenses et envahissent le plateau. Restent alors seulement des ampoules pendues au plafond, irradiant d’une lumière orange, chaude comme le soleil. L’ingénieur lumière Lee Curran, a imaginé des ambiances différentes, capables d’offrir l’éclairage violent des LED ou la douceur des bougies.
La danse comme ciment
Il y a de la colère dans la danse d’Hofesh Shechter. Installé depuis 2002 à Londres, le chorégraphe partage avec ses confrères israéliens les soucis de la guerre. Pour lui la danse est un ciment, les danseurs semblent former une communauté solide, prête à affronter toutes les dérives. Il questionnait déjà la violence de l’histoire dans ses précédentes pièces, Political Mother et Uprising. Sun prend une tournure plus sarcastique, le spectateur rit, mais jaune.
Drôle juste au départ, Sun prend ensuite une envergure beaucoup sombre. La danse d’Hofesh Shechter est très agressive – radicale – ne laissant aucun répit aux interprètes. Toujours à l’unisson, les danseurs évoluent comme un seul homme, comme des soldats au front. Ici et là, un danseur sort du rang comme pour se lancer seul face au danger, mais revient ensuite naturellement auprès des siens. Soutenu et particulièrement intense, chaque tableau est brutalement interrompu, soit par un soleil rougeoyant projeté sur un drap blanc, soit par des dessins naïfs, grandeur nature. Les spectateurs y aperçoivent les mythes de notre histoire : le loup et la brebis, puis l’indigène et le colon. Un cri perçant relance ensuite la machine et les danseurs sont de retour pour une nouvelle séquence endiablée.
Hofesh Shechter est joueur. Avec Sun, il bouscule la danse et la libère de ses carcans. Loin de l’académisme de base, elle devient ici un outil de cohésion sociale. Elle réunit les interprètes qui, en rang, affronteront la prochaine aube.