Trois ans après Dehli en un jour, le talentueux cinéaste indien Prashant Nair sort Umrika. Une preuve supplémentaire que le cinéma indien n’est pas fait que de chants d’amour et de parties de cricket. Mais une preuve, aussi, que le film indépendant asiatique a du mal à s’affranchir complètement de son modèle américain.
C’est encore loin l’Umrika ?
C’est l’histoire d’un fantasme, celui partagé par plusieurs générations d’immigrants qui croient encore en l’Amérique comme on croit en l’Eldorado. C’est l’histoire d’un idéal qui fond comme neige au soleil parce qu’il était bâti en chocolat plutôt qu’en lingots d’or.
C’est l’histoire d’une petite famille tranquille du village indien de Jivatpur, non loin de Mumbai. Depuis que Udaï est parti conquérir l’Amérique, tout le village se réunit autour des lettres richement illustrées qu’il envoie depuis cette Terre promise.
Dix ans plus tard, Udaï a cessé d’écrire après la mort du père de famille. Ramakant, le cadet de 17 ans, part à la recherche de son aîné pour tâcher d’expliquer ce silence. Sa seule piste ? Un oncle de Mumbai qui devait envoyer Udaï de l’autre côté du monde.
Terre promise
Umrika est une nouvelle facette de ce diamant encore un peu grossier qu’est le cinéma indépendant indien. Gangs of Wasseypur ou The Lunchbox, dans des genres très divers, et Titli l’année dernière, avaient déjà démontré avec fracas que le film indien ne peut pas être résumé aux productions sucrées et chantées de Bollywood.
Prashant Nair réalise ici son second long-métrage après Delhi en un jour, multi-primé en Inde en 2012 et classé parmi les dix meilleurs films indépendants de l’année par le Times indien.
Le scénario d’Umrika, qu’il a lui-même écrit, s’appuie sur sa propre expérience de globe-trotter. Nair est passé par Prague, New York et Paris, la Suisse, le Soudan et l’Autriche. Son intérêt pour l’immigration, sa fascination pour le concept de Terre promise prend racine dans son propre multiculturalisme.
Kafka sur le rivage
Dans son film, le jeune réalisateur questionne cette Amérique que chacun se construit mentalement en fonction de ce qu’il en connaît et de ses espoirs futurs. Il nous invite à nous interroger sur la valeur actuelle des mots d’Emma Lazarus gravés sur le socle de la Statue de la Liberté.
Andy Warhol écrivait que « chacun a en soi des morceaux d’une Amérique imaginaire qu’on croit vraie mais qui n’existe pas ». C’est précisément cela qui unit ses protagonistes : tous tendent vers un pays-modèle qui n’est pas, ou du moins qui n’est plus.
« Umrika » est la prononciation déformée de l’anglais « America », et rappelle par homonymie le roman inachevé de Franz Kafka, Amerika. L’histoire, là encore, d’un immigré viennois, envoyé au pays de l’Oncle Sam pour de triviales raisons, qui découvre les réalités d’un lieu fantasmatique dont les fondations se sont écroulées.
Nair à vif ?
Le réalisateur parvient à son but en déroulant un récit simple mais cohérent, sous la forme d’une comédie dramatique tous publics, alternant émotion et humour noir. Et prenant à bras le corps une thématique universelle titillant l’humain bienveillant qui sommeille en chacun de nous.
Certes, mais ne pourrait-on pas reprocher au multiculturel Nair, qui a engagé pour son film deux acteurs indiens ayant cartonné dans des films américains (Suraj Sharma dans L’Odyssée de Pi d’Ang Lee, Tony Revolori dans The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson), de délaisser les réalités de son Inde natale ?
Ne pourrait-on pas trouver que ce joli film, primé au festival du film indépendant de Sundance, et dont le scénario a été élaboré dans les ateliers d’écriture de cette manifestation, serait le témoignage d’un réalisateur qui s’est lui aussi conformé à sa propre Amérique fantasmée ?